Banksy reprend à son compte les codes et mécaniques du marketing « classique », Virtuose de l'image, Canva vous explique pourquoi il inspire et influence le marketing !
La posture du « plus célèbre des anonymes » est ambiguë. Bien qu’il apparaisse comme un créatif engagé et contestataire, il se situe paradoxalement au pinacle du marché de l’art spéculatif qu’il prétend dénoncer.
Si Banksy n’est pas à proprement parler un formaliste virtuose, d’aucuns s’accordent à dire que le natif de Bristol est un communicant de génie, qui maîtrise parfaitement les rouages du marketing. C’est le cas du graffeur français C215. Invité à participer au Cans festival de Londres en 2008, il décrypte la « méthode Banksy » dans une tribune pour l’Obs en 2013 :
« (Il) connaît parfaitement les médias et le caractère mécanique et prévisible de leur fonctionnement. (C’est) un maître du marketing viral et je pense que cette nouvelle campagne à succès est paradoxalement une dénonciation de la vacuité du buzz médiatique dont il fait l’objet. L’un des autres messages véhiculés par Banksy, comme à son habitude, est la dénonciation du mauvais goût du public, et des collectionneurs en particulier. »
En reprenant à son compte les codes et mécaniques du marketing « classique », Banksy se délecte de les détourner pour appuyer son propos et est devenu un acteur majeur de la sphère médiatique. À la lumière des ses récentes frasques, Canva vous propose de découvrir dès maintenant comment Banksy inspire et influence le marketing !
L’anonymat tient une place centrale dans la démarche Banksy ; le Britannique sait jouer avec les zones d’ombres concernant son identité, et multiplie les fausses pistes. En 2017, le DJ anglais Goldie lâche négligemment un nom, au cours d’un podcast : Rob.
Rob, ce serait Robert del Naja, alias 3D, fondateur du groupe de trip-hop Massive Attack, et graffeur à ses heures perdues. Très vite, la sphère médiatique s’emballe. Du plus petit blog indépendant au plus grand des quotidiens nationaux, tous s’interrogent : Del Naja serait Banksy ? Les dates de tournées du groupe coïncident étrangement avec les interventions supposées du street artiste…
Réponse plutôt ferme de de l’intéressé lors d’un concert à Bristol: « La théorie selon laquelle je serais Banksy est totalement insensée. Nous sommes tous Banksy » ».
On peut alors s’interroger : simple maladresse de la part de Goldie, ou stratégie finement élaborée par l’artiste lui-même dans le but d’entretenir la confusion ? Le mystère demeure. Collectif de graphistes, citoyen anonyme, graffeur underground, les hypothèses sur l’identité réelle de Banksy s’accumulent, sans trouver de réponse.
Cette stratégie - l’esthétisme de l’anonymat - n’est pas neuve. Elle a été théorisée par l’incontournableAndy Warhol dans les années 60. Ce procédé consiste à détourner et renverser le principe même d’anonymat. Plutôt qu’un moyen de s’assurer protection et tranquillité, cette technique prend le pari osé de pousser l’ambiguïté à son paroxysme. En entretenant le doute, l’artiste s’assure une popularité croissante, toujours renouvelée au rythme de ses différents coups de théâtre et interventions.
Ce procédé est particulièrement prisé par la sphère artistique, et les exemples contemporains ne manquent pas. Le duo casqué Daft Punk, la chanteuse Sia et l’auteure Elena Ferrante sont autant de personnalités qui cultivent avec soin leur anonymat. Avec de beaux succès critiques et commerciaux très souvent au rendez-vous.
Le récent succès du groupe français PNL illustre parfaitement cette tendance. Si les visages des deux MC’s, N.O.S. et Ademo sont connus, ils entretiennent un épais mystère autour de leur personn(ag)es. Ignorant les canaux de promotion classiques (les deux bougres sont auto-produits et refusent toutes interviews). Ils parviennent à créer une attente autour de chacune de leurs interventions. Pudeur ou stratégie commerciale bien rodée ?
Le groupe PNL, les Daft Punk et la chanteuse Sia, des adeptes de l'anonymat à la Banksy
Certaines marques liées au milieu de la mode ont également saisi l’intérêt de se passer du caractère trop intrusif des communications. Le label de prêt-à-porter de luxe Vêtements, a choisi d’opter pour un anonymat engagé, suscitant l’intérêt du consommateur. Le site marketing-professionnel.fr analyse :
“Elle ne contraint pas (le consommateur ndlr), ne l’assaille pas de publicités dissimulées via des influenceurs : en ne disant rien, elle dit tout. (...) « Vêtements » opte pour un quasi-anonymat, par son nom simple et éloquent. (...) Sa stratégie est de remettre le vêtement au centre de la conversation et de l’attention. En créant le mystère et la non-communication traditionnelle, la marque anonyme suscite l’envie de consommation (...) En parallèle, lorsque la marque a besoin de parler, elle le fait d’une façon insolite et anticonformiste (...) . La marque bouscule ainsi le consommateur dans ses certitudes et vient accroître encore davantage sa curiosité."
Ce paradoxe fait des émules au sein de la haute couture. La Maison Martin Margiela réfute la figue des créateurs-démiurges à la Saint-Laurent, ou Lagerfeld, pour mieux laisser parler le produit. Et pousse le vice jusqu’à faire défiler des mannequins cagoulés.
Difficile de ne pas y voir une volonté de s’encanailler, en adoptant les codes du street-art, art vandal par excellence.
Le culte de l’anonymat est l’élément central du « système Banksy », mais il en constitue potentiellement la limite. Il faut dire que l’artiste aurait beaucoup à perdre à voir sa couverture s’envoler.
Le natif de Bristol n’est en effet pas considéré dans les milieux spécialisés comme un grand formaliste. Certes, ses pièces sont souvent justes, touchantes, ironiques, parfois cruelles, mais leur simplicité fait débat. Son positionnement tranchant et critique envers les galeristes, musées, collectionneurs et autres acteurs de l’art marchand ne lui attire pas non plus la bienveillance unanime de ses pairs.
« Banksy est sans doute davantage un artiste médiatique et conceptuel qu’un simple street artiste. Il n’intervient presque plus dans la rue (...) et ne s’est jamais présenté comme un maître du style et de l’esthétique. Ce n’est pas la technique qui lui importe, mais le sens de ses œuvres. » (C215)
En revanche, Juan Cruz, écrivain et journaliste au quotidien El Pais a un avis bien tranché :
« Pur marketing. Ramasser de l’argent en se disant contre le système. Banksy n’est pas un vrai artiste du graffiti. C’est un spectacle pour les riches. ».
En effet, Banksy maîtrise l’art de l’esbroufe comme personne. Il tease ses interventions avec un sens du timing à toute épreuve, ce qui lui permet de se servir des médias comme relais.
Prenons pour exemple sa « résidence d’artiste » new-yorkaise, « Better in than out ». Durant le mois d’octobre 2013, Banksy annonce sur un site Internet son intention d’occuper la capitale américaine. S’ensuit un jeu de piste ubuesque. Signalant au jour le jour les œuvres et installations qu’il produit, le Britannique sera suivi à la trace par la police, les amateurs d’art contemporain et… les journalistes.
Cette utilisation des médias est le véritable coup de force de cette résidence. À l’aide de teasings soigneusement orchestrés, l’artiste s’assure une couverture médiatique gratuite via les canaux viraux et traditionnels. En mêlant réseaux sociaux, graff, coups de bluffs et installations, Banksy aura repris à son compte les meilleures techniques de street-marketing. Cela n’aura pas manqué de donner des idées à certains annonceurs et agences de communication.
En 2017, c’est Nike qui ré-utilise quasiment la même mécanique. Du 21 au 25 juin, en parallèle de la Fashion Week Homme, la marque à la virgule s’approprie la Ville Lumière. En dispersant des inédits de ses modèles iconiques dans des lieux cultes de Paris tels que le Pigalle basket-ball, feu le concept-store Colette ou encore le Nikelab P75, la marque créée le buzz. Une véritable chasse au trésor lors de laquelle chaque journée est consacrée à une paire de sneakers en particulier et détient son propre événement, son propre lieu ainsi que sa propre collab'... Le tout alimenté par les accros à la basket, les blogs spécialisés et les partenaires médiatiques. Une résidence d’une marque à l’échelle de toute une ville... cela vous rappelle quelque chose ?
Ironie du sort, le coup de force new-yorkais de Banksy, censé remettre la rue au centre de son œuvre aura des conséquences inattendues. En 2014 c’est l’agence Grey Germany qui aura pour idée de rhabiller les créations de l’artiste pour le compte de la marque Fila. En collant de véritables chaussures aux pochoirs de Banksy, l’agence s’assure un petit buzz à peu de frais.
Banksy a su saisir les mécaniques qui régissent une communication virale bien huilée. Via des teasings bien orchestrés, il crée l’attente. Son véritable point fort réside cependant dans sa capacité à provoquer la surprise. Prenant le contre-pied absolu de ses opérations millimétrées, le graffeur peut apparaître lors de happenings tonitruants.
En témoigne son dernier coup d’éclat en date, le 5 octobre 2018 au sein de la prestigieuse maison Sotheby’s. Bref rappel des faits : lors d’une vente aux enchères regroupant quelques grands noms de l’art contemporain, une œuvre du Britannique « Girl with Balloon » est proposée à l’acquisition. Adjugée pour la faramineuse somme de 1,185 million d’euros, la toile s’auto détruit partiellement, découpée en fines lamelles via un système dissimulé dans le cadre. Le tout sous les yeux médusés de l’audience très « select » de la célèbre maison d’enchères.
L’évènement sera filmé en direct, et commenté sur Instagram par Banksy lui-même d’un laconique : « Going, going, gone. ». L’équivalent « d’adjugé, vendu ! » dans la langue de Shakespeare.
Ce coup d’éclat aura, comme à son habitude créé la polémique, et soulevé de nombreuses questions. Comment le dispositif a-t-il été activé ? La maison de vente était elle complice ? Qui est le mystérieux acheteur de l’œuvre, dont le prix, après altération, aurait augmenté de la moitié de la valeur ?
Comme toujours avec Banksy, peu ou pas de réponses. Une vidéo dans laquelle il montre la construction du cadre piégé, des démentis contradictoires par le biais de différents intermédiaires, et libre à chacun d’analyser le geste comme bon lui semble. Mais dans le monde publicitaire, ces coups d'éclat évènementiels font rêver...
Ce hold-up artistique aura à nouveau eu pour conséquences d’en inspirer beaucoup. Le symbole, toute comme l’aspect graphique du projet auront séduit les marques et les internautes.
Chez Foncia, la broyeuse à papier improvisée de Banksy sert à vanter l’efficacité de la chaîne d’agences immobilières sur les réseaux sociaux, tandis qu’Interflora et Adoptunmec.com célèbrent les cœurs brisés. Scotch ne doute pas de sa capacité à réparer les dégâts, et Ikea nous dévoile enfin le procédé de fabrication de ses tapis à franges.
En ce qui concerne Mc Donald’s, ce sont deux agences, TBWA Malte et DDB Vienne qui proposent simultanément leurs interprétations du sacrilège « banksien ».
L'artiste n’en est pas à son coup d’essai. Déjà en 2002, il s’était introduit à la Tate Gallery pour accrocher des tableaux de son cru à côté d’authentiques chefs-d’œuvre. Il s’est également employé à détourner des peintures présentes au sein des plus grands musées new-yorkais, parisiens et londoniens. Il arrive cependant que les interventions de Banksy soient utilisées et détournées par d’autres acteurs à leur propre profit. À l’instar de l’opération The Grand Tour initiée par la National Gallery de Londres.
Cette opération conjointe avec Hewlett Packard met en “liberté” d’inestimables tableaux dans les rues de Londres. Une version inversée de la démarche de Banksy, en somme : si celui-ci n’hésite pas à s’inviter au sein des musées « traditionnels », ces derniers peuvent tout à fait envahir la rue, terrain de jeu du street artiste.
Si Banksy ne rechigne pas à emprunter au marketing ses mécaniques les plus impactantes, le marketing s’inspire également des idées du roi du street art pour avancer et évoluer. La boucle est bouclée.
Controversé, adulé, parfois haï, Banksy peut prendre des postures d’artiste contestataire, mais son travail interroge avant tout notre rapport au monde. Loin de se contenter de bousculer la simple sphère du street-art, ses œuvres comme sa démarche, touchent à des questions universelles.
Il suffit de regarder son vrai/faux documentaire « Faites le Mur » pour s’en convaincre. Dans cette œuvre hybride et schizophrène, entre farce et pamphlet l’artiste met en place un véritable jeu de miroirs avec son double, le très cartoonesque Mr Brainwash. Qui est Mr Brainwash ? Est-ce une projection de Banksy ? Une caricature ? Sa création ? Banksy en personne ?
Les réponses comme toujours chez Banksy importent moins que les questions. Aujourd’hui on ne connaît toujours pas sa véritable identité. Et c’est peut-être tant mieux.
Le très lunaire Thierry Guetta aka Mr.Brainwash, et Banksy à visage couvert tels qu'ils apparaissent dans le film "Faites le mur".
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